Lettre de Gourgonel, de Kenneth White

Un ermitage dans les mots, une géopoétique du retrait

Dans Lettre de Gourgonel, Kenneth White raconte une expérience fondatrice : celle de son séjour dans une maison isolée, dans un hameau oublié d’Ardèche, au début des années 70. Ce petit livre, écrit d’une plume limpide et libre, n’est ni un journal, ni un essai, ni un récit au sens strict — mais une marche intérieure, une dérive lente entre les pierres sèches, les vents, les lectures, les idées.

Un lieu réel, un territoire mental

Gourgonel, c’est un lieu : un mas perdu dans les montagnes ardéchoises. Mais très vite, ce lieu devient état d’esprit. White y cherche ce que le monde moderne rejette : le silence, la lenteur, la pensée libre. Il lit, il marche, il regarde. Il parle peu. Il écoute le paysage comme un livre ancien.
La "lettre", au fond, est adressée à tous ceux qui cherchent un dehors du monde sans pour autant fuir la lucidité.

"Je me suis éloigné du monde social non par misanthropie, mais pour affiner mes perceptions."

Entre Hölderlin et Bashō

Le style est dépouillé, précis, presque zen. White cite Hölderlin, Nietzsche, les taoïstes, les poètes japonais. Mais tout est digéré, intégré — cela ne pèse jamais. On sent une pensée en marche, ouverte, fluide, qui tisse des ponts entre l’expérience sensible et les lignes du monde. C’est une géopoétique en acte : écrire depuis un lieu, pas sur un lieu.

Une parole de lisière

Lettre de Gourgonel est traversée par une tension féconde : entre retrait et présence au monde, entre solitude et résonance. Kenneth White ne prône ni le repli, ni la contemplation stérile. Il écrit depuis un bord — un seuil — et interroge notre manière d’habiter, de penser, de marcher.

Ce texte fait écho à ce que pourraient être les Cahiers du Tanargue : une parole venue des marges, mais tournée vers l’universel ; une parole hors du tumulte, mais non hors du monde.

Lettre de Gourgonel est un petit livre par la taille, mais immense par la densité de sa clarté. Il devrait être dans chaque sac de marcheur, dans chaque cabane, dans chaque bibliothèque intérieure. On y revient comme à une source. Et pour qui habite l’Ardèche — ou s’y installe — il offre une manière d’être au monde : sans bruit, mais avec intensité.

Kenneth White, Lettre de Gourgonel
Éditions Le Mot et le Reste / Première édition : 1984 (Éd. Fata Morgana)

 
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